Après quelques jours de liaison et une nuit pas très reposante, nous partons tôt. Quelques courses, des espèces, de l'essence et direction le sable ! 35 kilomètres plus loin, l'entrée du Sahara.

On commence sur une piste solide, avec des micro-bosses qui n'aident pas les suspensions et ont tendance à détruire le matériel assez rapidement, les pneus pas encore à la bonne pression n'aidant pas. Un peu plus loin, nous croisons un local qui nous prévient que le sable, c'est pas simple et qu'il peut appeler un 4x4 pour nous aider. J'avais oublié cette partie : les locaux ont l'habitude des aventuriers qui tente de traverser sans trop d'expérience et sur moto chargée et qui finissent par n'avoir pas d'autre choix que de demander leur aide contre quelques billets. On écoute ce qu'il nous dit et continuons. Deux kilomètres plus loin, effectivement, premier passage d'Oued. C'est comme un passage de gué mais dans le sable, appelé fech-fech. Il paraît que même les pilotes du Dakar détestent ça, et on comprend pourquoi. Il s'agit de sable extrêmement fin, dans lequel on s'enfonce très facilement, pour résumer. Nous franchissons donc ce premier passage technique sous les yeux du local, qui ne nous suivra pas plus loin. La vidéo ne rend pas justice à la difficulté éprouvée.

[Désolé, le copain qui a filmé n'a pas pu me partager la vidéo à temps 😉]

La suite se simplifie un peu mais les passages de sable ne sont pas mes passages préférés,& la confiance se construit doucement. La technique réside dans le fait de ne pas ralentir, voire accélérer, laisser la roue avant faire ce qu'elle veut et serrer la moto avec les jambes. Tout l'inverse de ce que j'ai appris et l'habitude de faire, la roue flottante est extrêmement perturbant mais ça rentre petit à petit et nous atteignons notre première étape pour se rafraîchir un peu.

La confiance relativement construite, il ne faudra pas attendre longtemps pour la voir s'effondrer : à peine un kilomètre plus loin, nous n'avons plus le choix : cinq kilomètres de fesh-fesh. Les premiers mètres se passent bien, première chute légère pour Guilhem, je me concentre et me dis que je dois essayer de faire un peu mieux, puis Stéphane, j'ai trouvé mon challenge : l'atteindre... Loupé 5 mètres plus loin je suis sur le côté. Jusqu'ici tout va bien, mais ça va être long. Les locaux qui nous suivent ne tarderont pas à nous proposer leur aide, à moi ils demanderont carrément à monter sur la moto. On résiste et on insiste, au prix de quelques chutes mémorables sans gravité, les copains m'aident beaucoup, dommage qu'il faille recommencer 10 mètres plus loin. J'ai la moto la plus lourde (350kg pour rappel) et la moins adaptée pour faire ce genre de chose et d'un commun accord on dira qu'on s'est quand même vachement bien débrouillés pour une première ! 😎 Chacun d'entre nous hein, pas que moi, c'était dur pour tout le monde ! 😉

En reprenant tranquillement et en baissant encore la pression des pneus, ça aide un peu. On analyse un peu plus notre trace et retrouvons la piste classique, les locaux nous abandonnant, n'ayant pas trouvé les bons clients cette fois-ci. 😉

Une fois sorti de cet enfer, qui restera de toute façon dans la mémoires, nous revoilà dans un désert plus classique, immense, étendu, dans lequel tu te sens isolé et seul mais ce n'est jamais bien vrai, du moins dans cette zone. Certains parlent du sentiment de liberté, j'avoue ne pas bien comprendre, pour moi c'est plutôt immensité, perdu, apaisant et c'est extrêmement agréable. Nous arrivons à Tafraout Sidi Ali pour l'heure de goûter, un groupe de français en voyage organisé est déjà là et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils n'ont pas trop cherché à se fondre dans la culture marocaine étant donné leur accueil et les discussions que l'on a pu avoir... On repart après une petite sieste et le tajine pour aller trouver un endroit pour bivouaquer, derrière une dune. La nuit arrivera vite, la vue des étoiles est incroyable mais courte : je suis réveillé autour des 1h30 sans réellement arriver à me rendormir.

Voilà, voilà...

Le début de la fin

Il n'y aura pas beaucoup de photos et ça va être un peu long parce qu'il y a plein de détails, ça te mettra dans l'ambiance, à l'oral ça irait plus vite. Normalement c'est découpé pour pouvoir faire des pauses de lecture facilement. 😉

Levé avec le soleil, derrière la dune, on prend notre petit déjeuner, plions les tentes et partons. Dans le sable, directement, à froid. C'est toujours tout droit et sans réelle difficultés, ou du moins, s'il y en a, c'est nous qui nous les rajoutons. Et 30km plus loin, c'est le drame...

Tu te souviens de la méthode, dans le sable ? Accélérer un peu, ne pas perdre de vitesse, tout ça... Mais à 70 ou 80km/h, que tu trouves que c'est déjà pas mal vite, comment tu fais ? Et bien tu peux ralentir, relâcher les gaz mais doucement, sauf qu'à 9h du matin, pas encore chaud, et en confiance (pas en excès mais pas assez vigilant peut être) et bien ça ne se passe pas tout à fait comme prévu. La roue qui va de droite à gauche, en décélérant trop fort, le mouvement s'amplifie et au bout d'un moment, la physique et la mécanique fait que ça ne fonctionne plus : 50 mètres de vol et roulades, finition sur le dos.

Je m'assois, j'essaye de rouvrir les yeux et nettoyer un peu la bouche, le sable c'est pas très bon, j'attends un peu pour voir où ça va et où ça va pas, à priori ça va je veux retourner à la moto mais mon corps ne veut pas se lever. ndlr : c'est bien foutu le corps. Bon, je vais y aller sur les fesses en marche arrière en me poussant avec les pieds, je rapproche la jambe droite, je veux rapprocher la jambe gauche et... Ha, c'est bizarre, ça lève pas d'un bloc, c'est pas normal ça... Ce n'est pas pendant non plus, rassure toi, mais ça manque de rigidité par rapport à d'habitude, ça pue, je pose le pied gauche sur le pied droit et je recule jusqu'à la moto, qui va bien et est tombée dans le bon sens pour avoir le vent dans le dos. Je respire, je bois, je vois les copains qui partent au loin en espérant qu'ils ne mettent pas trop de temps à se rendre compte qu'il manque quelqu'un et évidemment, la dose de stresse arrive et l'adrénaline s'est un peu dissipée. Les copains reviennent, à moi ça m'a paru 10 minutes, en vrai ça a dû en durer trois, ce qui est plutôt un beau score compte tenu du contexte. Ils essayent de me rassurer, d'être optimiste, ce n'est peut être qu'une entorse, exactement comme une copine qui s'est cassé le bras sur le GR20 l'an dernier mais où cette fois, c'est moi la victime. Tu veux y croire, mais au fond tu sais que ça va être la merde les prochaines heures.

Un groupe d'espagnols en buggy arrive et sont un peu plus équipés que nous : anti-inflammatoire et protection gastrique, où nous étions partis avec des dolipranes et notre plus grosse crainte était jusqu'ici la tourista. On fait une attelle de fortune avec la coudière du blouson de moto de Guilhem, on me met dans un des buggy et on est parti pour 35km pour revenir au point de départ : Tafraout Sidi Ali. J'attends les copains qui mettent un peu de temps à arriver cette fois et fini par contacter l'assistance, évidemment avec mon heure de forfait marocain, en appelant la France, elle est épuisée en cinq minutes, juste le temps de déclarer ce qu'il se passe mais ce n'est pas terminé. Je demande un autre téléphone, mais pareil par contre cette fois j'ai un numéro marocain à contacter donc nouveau téléphone, on met à jour toutes les infos de contact et on envoie l'ambulance, évidemment je ne pense pas à demander le délai. Ça aura été deux fois 30 minutes puis 1h30 à 2h mais il faut rajouter le temps qu'ils trouvent l'ambulance, un avion aussi, bref la logistique et j'aurais attendu jusqu'à 21h le départ pour Errachidia, dans le sud du Maroc, dernière grande ville avant le Sahara.

Heureusement, l'attente a été rendue supportable au centre de santé grâce à une infirmière, Kaouthar, qui a fait ce qu'elle a pu pour me soulager un peu. Une sage femme, Zahira, qui pour mon cas n'a pas été utile mais pour le soutien moral et ne pas se sentir trop seul a été indispensable et bien évidemment Guilhem et Stéphane qui sont resté jusqu'à mon départ et ont perdu la journée, heureusement, nous avions de l'avance et je crois même qu'ils en ont repris par la suite. ♥️ Autour des 19h, Zahira viendra nous voir en nous disant qu'elles sont en train de préparer le goûter pour manger ensemble, j'ai eu les yeux humide, sans doute un peu de sable...

Moi, Zahira, Guilhem, Kaouthar, Stéphane

L'ambulance arrive mais comme le médecin connaît bien Kaouthar, ils prennent le goûter aussi, juste après avoir fait la prière, qui était tombée pendant leur trajet. Je suis embarqué, sans atèle supplémentaire, l'ambulance ne dispose que d'une bouteille à oxygène (je sais pas si elle était pleine) et on me met une couverture, du même genre que tes grands parents, celle qui gratte, marron souvent (là elle est bleue quadrillée si tu veux tout savoir), années 70 et le médecin qui me dit avant de fermer : "C'est de la médecine de guerre". Ha... Bon, ben on y va, on verra bien, déjà il n'y a pas les bombes qui pleuvent. 3h30 de route jusqu'à Errachidia, je te jure que le réseau routier français est entretenu. Mon quadriceps fonctionne bien aussi : 3h30 sans poser le pied sur le brancard ou très peu, 3h30 à me tenir la jambe et le pied pour éviter que ça bouge trop et que ça fasse mal surtout, solide le mental dis donc. Mais c'est pas fini, il faut aller jusqu'à Casablanca : 40 minutes de vol depuis Errachidia, avec le monsieur de l'assistance qui me demande les infos de la moto alors que tout est resté sur place pensant que ce soit plus pratique, heureusement j'ai les copies mais il n'a pas l'air d'être d'accord pour les prendre en compte, il appelle et finalement c'est bon, je lui enverrai l'adresse exacte le lendemain et tout ira pour le mieux. Sauf avec ce qui semblait être le policier à l'aéroport, très pressé, sans doute là depuis longtemps (le médecin suivant m'a dit être mobilisé depuis 17h) qui n'aide pas trop à me sentir à l'aise et en sécurité. Bref, passage de douane et tout se passe bien, on me met finalement une attelle à dépression, qui se gonfle (j'ai pas compris non plus), que je découvrirai périmée depuis 2013 si j'ai bien lu, tu m'étonnes que ça restait pas gonflé, pourtant ça soulageait bien, dommage. Une fois arrivé à Casablanca, encore une ambulance pour 40 minutes de trajet et enfin l'hôpital avec les radios d'entrée puis au dodo. 5h à serrer les dents, quelques fois pensant le trajet terminé plus tôt que prévu, pour le mental c'est compliqué. Et je suis quand même content d'être là, pas net le type. 🤯

Et ce n'est que le début... Le lendemain on m'explique : il va falloir opérer. Ha... Une grande première, on me programme pour fin de matinée mais ça prend évidemment du retard, on me descend au bloc, une dame sur un fauteuil arrive et je me doute que ça ne va pas se passer comme prévu : elle est enceinte et il faut l'accoucher par césarienne, elle passe donc avant. Et bien même si j'étais pas dans la salle, être quasi première loge pour une naissance, ça fait un peu quelque chose. 🙂 14h30 ou 15h, c'est la dernière heure dont je me souviens. On me fait faire un aller-retour avec la chambre parce que le matériel nécessaire est arrivé mais non stérilisé et finalement enfin sur la table pour me faire opérer. Le chirurgien arrive et : "on va faire une anesthésie rachi", comment ça ? Ça veut dire quoi ? "la moitié". Ha... Il voit bien qu'à ma tête, il y a un truc qui cloche et pour ceux qui ne me connaissent pas, le sang, les opérations, voir à l'intérieur se faire trifouiller, même dans les séries, ça me met pas bien et comme je sais à peu près comment ça se passe, je me projette vachement et je m'auto anesthésie. 🙃 Donc il part finalement sur une anesthésie générale, endormir la moitié t'as pas mal mais tu sens un peu ce qu'il se passe et tu entends tout et là j'ai gagné une plaque des vis. Je me connais, je serais pas resté réveillé longtemps au moins là, ça a duré trois secondes. Mes derniers mots : "ça fait comme quand on tombe dans les pommes", ça le fait rire, il confirme, rideau.

Une fois réveillé, la question qui tue : "combien de temps ça a duré ?" 30 minutes, j'aurais dit plus, du genre deux heures. Retour dans la chambre, il y a les plateaux repas que je meurs d'envie de manger, mais je demande au cas où et j'ai pas encore le droit... Quand on m'a donné l'autorisation, ils n'auront pas duré longtemps, j'ai gardé une assiette avec une part de gâteau au chocolat qui aura disparue pendant la nuit. Oui parce que la nuit, c'est pas ouf non plus : réveillé par les douleurs, je me dis que ça va passer (je connais pas c'est la première fois) mais non, donc j'appelle les infirmières, à la troisième j'ai eu droit à la morphine, c'est pas mal cette invention, et c'est encore mieux quand c'est injecté dans le bras, sans mélange avec les solutions pour rester hydrater : tu t'endors en quinze secondes, après avoir envoyé un message incompréhensible. 😂

Le reste du séjour à l'hôpital s'est bien passé, les infirmières étaient très sympas, j'ai hérité d'un surnom : monsieur sensible... Elle a bien remarqué que lorsque c'était le moment d'une injection ou de changer le pansement, j'étais moins détendu d'un coup. 😅 Quelques aventures et difficultés plus tard pour savoir quand et comment je serais rapatrié (j'ai pas plus de forfait qu'avant) j'apprends que ce sera trois jours plus tard., ramené par Royal Air Maroc en business class (quand il ne te manque pas une jambe, ça doit être trop bien), ramené à la maison par une ambulance et déposé du brancard à dans le canapé. Juste avant mon départ, j'ai reçu de bien jolies roses de la part de Kaouthar, j'en ai évidemment été très touché ! 💐

Pendant ce transfert j'ai pu regarder un peu ce que j'avais comme affaires, il ne me restait plus que mon casque et mes bottes. Les bottes n'ont pas une trace mais point faible de tout mon équipement, elles seront remplacées dès que possible et le casque, acheté deux semaines plus tôt, m'aura sauvé de quelque chose de plus grave.

Épilogue

J'aurais manqué la moitié de mon séjour prévu et je me demande déjà quand je pourrais revenir, à vrai dire cette question, je me la posais alors que j'attendais la première ambulance. Je me demandais aussi quand est-ce que j'allais pouvoir remonter sur la moto, ce n'est qu'un peu plus tard que je me suis demandé quand je pourrais marcher, courir, grimper... Le sens des priorités quand même.

Je ne regrette donc pas du tout mon voyage, il a été très bien du début à la fin malgré l'interruption et il faudra bien aller finir cette boucle, peut être que la suite est complètement différente du début ! 🙂

PS : je n'ai jamais été aussi content de payer mon assurance. Elle n'est d'ailleurs finalement, pas si chère que ça (malgré le malus que je vais prendre) : je n'ai eu aucun frais à avancer ni à payer en plus, y compris pour ramener la moto jusqu'à la maison.